Il est vivant le Seigneur en présence de qui je me tiens… je brûle de zèle pour le Seigneur Dieu des armées. 

 

Saint-Elie

Écrite en latin sur une mosaïque autour de l’écusson du Carmel, la « devise » du prophète Elie figurait sur le sol du réfectoire des religieux au Petit Castelet, le couvent du Père Marie-Eugène, près de Tarascon. Né en Terre Sainte sur le Mont Carmel qui surplombe la baie Saint Jean d’Acre, l’ordre du Carmel fait remonter sa fondation à ce personnage haut en couleurs dont la Bible nous raconte les exploits en ce lieu.

Composée de deux phrases du prophète (cf. 1 R 17,1 et 1 R 19,10), cette devise synthétisait pour le Père Marie-Eugène les deux pôles inséparables de la vocation carmélitaine. Ce sont aussi pour lui les deux pôles de la vie du baptisé, disciple-missionnaire du Christ dans le monde : appel à vivre une relation intime avec Dieu dans le silence, là où « le Père est là dans le secret » (Mt 6,6) ; appel à rendre témoignage à l’Evangile auprès de ses contemporains. C’est à cette source biblique qu’il fallait remonter pour proposer au monde d’aujourd’hui l’esprit authentique du Carmel.

La première partie de la devise exprime l’attitude habituelle du prophète, foncièrement contemplative.

Dieu parle dans le silence.
Qu’est-ce que la contemplation sinon cette recherche anxieuse de Dieu et cette découverte reposante de sa présence ? (Ton amour a grandi avec moi, P.93). C’est dans le souffle léger (1 R 19,12) que le prophète habitué à cette recherche de Dieu reconnaît la présence divine. Pour lui désormais, silence et Dieu semblent s’identifier. Car Dieu parle dans le silence et seul le silence semble pouvoir exprimer Dieu (Je veux voir Dieu, p. 365).

L’homme d’action, à la rudesse extérieure souvent violente mais à l’âme si haute et si délicate, au regard de foi pénétrant et purifié, commence donc paradoxalement sa mission par un long temps passé dans la solitude, au torrent du Kerith (1 R 17,2-6). Sa vocation le met à part, loin de son milieu, et l’attire au désert. C’est là qu’il apprend à « se tenir en présence du Dieu vivant ». Là des échanges merveilleux s’établissent entre Dieu et l’âme du prophète. Dieu se donne avec une générosité qu’augmente souvent l’infidélité du peuple choisi. Il satisfait ainsi son besoin de se répandre. (Je veux voir Dieu, p.396). L’expérience fondatrice de la vocation prophétique est celle d’un amour gratuit, délicat et puissant, l’Amour divin toujours en mouvement pour se donner.

Séparé du monde pour un temps, le prophète étanche sa soif de Dieu mais aussi la soif qu’a Dieu de se donner. En se livrant à l’amour divin dans la solitude, il est entre dans le mouvement même de l’amour et il brûle d’ardeur apostolique, désormais totalement libre pour être à la disposition de son Seigneur : il n’a pas de demeure fixe, il va où l’Esprit le pousse (Je veux voir Dieu, p.395). Souple et disponible, ce contemplatif solitaire est mêlé étroitement à la vie de son peuple. Ses gestes extérieurs sont les plus importants dans l’histoire d’Israël de son temps. (ton amour, 94). Il est poussé à témoigner de Dieu, de son existence, de sa vie (Carmel 88, 237).

En un temps où, selon son expression moqueuse, Israël « cloche des deux pieds » (1 R 18,21) et se détourne du Dieu unique, Elie lance un défi aux prophètes des faux dieux et parvient à ramener son peuple à la profession de foi de l’Alliance : « C’est le Seigneur qui est Dieu !» (1 R 18,39). Se retirant au sommet du Carmel, il se plonge dans la prière, intercédant pour que cesse la sécheresse. Il perçoit alors dans la petite la nuée blanche qui monte au loin de la mer l’annonce de la Vierge Marie, celle qui un jour fera « pleuvoir le Juste » (Is 45,8). Puis il court devant le char du roi ! (1 R18,46).

Un surhomme, le prophète ? Non, un pauvre homme, qui fait l’expérience de sa faiblesse, harassé, découragé par la persécution : « C’en est assez maintenant, Seigneur : prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. » (1 R 19,4).

Un surhomme, le prophète ? Non, un pauvre homme
L’épreuve est permise par Dieu. Après le triomphe, l’instrument doit retrouver sa condition. (…) Le corps et toutes les facultés naturelles entraînées irrésistiblement dans l’action par une force supérieure ont une revanche à prendre et ils la prennent en faisant sentir à l’âme le poids plus lourd de leur faiblesse. (Art Elie 1927). Soulevé par la puissance de l’Esprit, le prophète est soudain laissé à ses propres forces et il comprend, dans l’épreuve permise, qu’il ne peut rien par lui-même. Prise de conscience salutaire : c’est l’humiliation intérieure de l’instrument divin et du contemplatif, mais qui, en creusant son âme, la prépare à de nouvelles grâces et à une nouvelle mission. (art Elie 27).

De cet exemple que la Sainte Ecriture met sous nos yeux, le Père Marie-Eugène retient une lumière précieuse : l’union harmonieuse de contemplation et d’action que le prophète nous montre réalisée dans sa vie. (397). C’est cet équilibre qui fait l’apôtre parfait (402). D’où vient-il ? Non pas d’un sage dosage établi par la raison car équilibre et synthèse sont réalisées dans la vie du prophète par Dieu qui le saisit et le meut. (Je veux voir Dieu, p. 397). L’exemple de Thérèse d’Avila assoiffée de silence et de solitude et lancée sur les routes d’Espagne pour fonder des monastères le montre. Celle qui s’écriait, enfant : « je veux voir Dieu ! » mourra en disant : « je suis fille de l’Eglise ». N’est-ce pas un écho de la devise du prophète ?

Comment vivre aujourd’hui de cet esprit élianique et thérésien ?

En vivant le désert quotidien de l’oraison silencieuse qui refait les forces et remet en mouvement. Le Père Marie-Eugène dira, le jour de sa mort, aux membres de l’Institut qu’il avait fondé pour vivre de l’esprit d’Elie dans le monde d’aujourd’hui : gardez la fidélité à l’essentiel : action et contemplation bien unies. Cette recommandation procédait d’un regard sur Dieu lui-même : Dieu est contemplatif, il est aussi acte pur. C’est une imitation parfaite de Dieu que nous essayons de réaliser en unissant contemplation et action. (En marche vers Dieu).

 

Témoignages sur le Père Marie-Eugène

En vrai fils d’Elie, sa parole brûlait comme une torche (cf. Si 48,1). « Par sa foi, il a touché Dieu » pensions-nous ! Avec la même aisance il parlait de la transcendance et de la simplicité de Dieu. Il rayonnait sa présence. (Une carmélite) (MM Sauveur, Carmel 1988)

Il n’était livré qu’à Dieu mais il l’était totalement, passionnément. Ce n’est pas à lui qu’Elie aurait pu reprocher de « clocher des deux pieds ». Vraiment, il était avec une intensité peu commune, un « homme de Dieu ». (Un père Carme de sa province) (Carmel 1988, 210.212).

Il portait en lui l’urgence du Royaume et il communiquait cette passion… La mission, l’Eglise, mettre le feu aux quatre coins du monde… C’étaient des sujets qui revenaient souvent (Une religieuse) (Carmel 1988,231)

Le Père Marie-Eugène, cet homme vigoureux, rude parfois, plein d’humanité aussi, était un religieux passionné de Dieu et d’évangélisation par la prière (…) Son regard reflétait la paix et la joie de la sainteté. (Un membre de ND de Vie) (Lt Cause 19, p. 19)